Nouvelles lumières sur le conflit des Antients et des Moderns dans l’Angleterre maçonnique du XVIIIe siècle

Roger Dachez

(23 mars 2017)

Ce travail fera l’objet d’une publication dans un prochain numéro de la revue Renaissance Traditionnelle sous le titre « La tradition des Antients : un mythe historiographique français ». C’est donc un bref résumé qui est présenté ici.

Ce conflit est maintenant bien connu, notamment grâce aux études érudites de la Loge des Quatre Couronnés de Londres, et à partir de l’état actuel de la recherche, nous pouvons étudier comment une certaine historiographie française s’est emparée de ce thème pour l’instrumentaliser à des fins de politique maçonnique obédientielle.

Rappelons brièvement les faits historiques.

Autour des années 1720 apparaît la première Grande Loge du monde, la Grande Loge d’Angleterre. A partir de 1751 naît une 2e GL en opposition à la 1ère. S’en suivra un conflit de plusieurs décennies qui se résoudra finalement en 1813 avec la création de la Grande Loge Unie d’Angleterre.

Les historiens se sont interrogés sur les raisons de l’apparition de cette 2e GL et diverses théories ont été émises.

William Preston, dans son célèbre ouvrage Illustrations of Masonry (2e édition 1775), a été le promoteur de la thèse selon laquelle cette 2e GL serait un schisme de la 1ère, pour revenir à d’anciens usages que cette dernière aurait abandonnés.

Un siècle plus tard, Henry Sadler, dans son ouvrage Masonic Facts and Fiction (1887), démontre après une sérieuse étude documentée, que la fondation de la 2e GL n’était pas le résultat d’un schisme mais qu’elle était le fruit de la volonté de frères, la plupart d’origine irlandaise, qui n’ayant pas ou mal été accueillis par la 1er Grande Loge en ont créé une de novo. Emmenés par un frère exceptionnel, Laurence Dermott, ils vont donner à cette nouvelle Grande Loge un grand renom en se différenciant le plus possible de la 1ère Grande Loge, jusqu’à l’attaquer de front à partir du milieu des années 1760, dans la 2e édition de leurs Constitutions Ahiman Rezon où ils se présentent comme les successeurs d’une maçonnerie irlandaise « ancienne », entendez plus ancienne et plus vraie que la Grande Loge d’Angleterre considérée comme dégénérée.

Le conflit qui s’en suivit a duré longtemps et pourrait durer encore si le vent du boulet de la loi de 1799 sur les sociétés secrètes n’avait pas soufflé. A cette occasion les 2 Grandes Loges rivales comprirent qu’elles avaient grand intérêt à s’unir si elles ne voulaient pas disparaître et c’est ce qu’elles firent finalement en 1813, enterrant définitivement des oppositions soi-disant irréductibles.

Et en effet cette réconciliation pose rétrospectivement la question des différences entre ces Grandes Loges.

Étaient-elles vraiment si fondamentales ? Y avait-il une véritable incompatibilité entre Moderns et Antients ? Les recherches les plus récentes montrent que non et pour faire simple, c’était un banal conflit de personnalités et de structures obédientielles.

Et c’est ici qu’intervient une certaine historiographie française. Depuis plusieurs décennies un mythe est né selon lequel la Grande Loge des Antients aurait été fondée pour conserver la véritable tradition maçonnique, une tradition pré-Andersonienne, différente de la tradition des Moderns. C’est oublier qu’au XVIIIe siècle en Angleterre tous les Maçons se disent « anciens » ce qui signifie : vénérable, sérieux, intéressant. C’est oublier encore que la Première Grande Loge, selon ses propres Constitutions publiées en 1723, se définissait comme une « très ancienne et très respectable fraternité ». C’est oublier enfin qu’aucun document n’atteste l’existence d’une seule loge des Antients avant 1751.

En réalité, il n’est que trop visible que les promoteurs de ce mythe sont au service de politiques maçonniques obédientielles pour vanter, par une sorte de propagande indigne d’historiens authentiques, « l’ancienneté » de leur structure. Il y a là, dans le meilleur des cas, une sorte d’incapacité à exercer un regard autocritique avec un peu de rigueur, et dans le pire, une malhonnêteté intellectuelle pure et simple.

Discussion

  • Pourquoi le rite « américain » d’aujourd’hui est proche de celui des Antients ? Parce c’était le rite principalement pratiqué par les maçons favorables à l’indépendance alors que le rite des Moderns était principalement pratiqué par les maçons fidèles à la couronne d’Angleterre. Ces derniers disparaissent des Etats-Unis à la fin du XVIIIe siècle. La prédominance des Antients a donc des causes essentiellement politiques.
  • Les Antients ont-ils un sentiment plus « religieux » que les Moderns ? : Dans l’Angleterre du XVIIIe siècle tous les maçons, Antients comme Moderns, sont « religieux » et la « religion », au sens large, est omniprésente. Cependant, mais pour des raisons d’ordre sociologique, il est possible que les Antients, semblant être de condition plus modeste, avait une pratique plus populaire, plus marquée, plus traditionnaliste de la religion que les Moderns.
  • Le mot « ancien » semble exercer une sorte de fascination à tel point que même une période de renouveau comme la Renaissance se voyait comme un retour à l’Antiquité donc à une ancienneté bien plus importante que la période qui l’avait précédé et que nous appelons le « moyen-âge ».