comment est née la franc-maçonnerie victorienne ?
Auguste Frédéric, duc de Sussex (1773-1843), premier Grand Maître de la Grande Loge Unie d’Angleterre
Roger Dachez
(14 juin 2018)
(14 juin 2018)
Ce sujet a souvent été abordé à la LNF mais l'actualité lui donne un nouveau relief, puisqu'il existe à présent un 2ème duc de Sussex : le très populaire Harry.
Aux yeux des maçons français, la Franc-maçonnerie britannique paraît souvent exotique, atypique et l’on s'interroge : est-elle vraiment démocratique ? C'est oublier que cette maçonnerie fonctionne comme les institutions politiques du pays, qui est une monarchie parlementaire.
Donnons deux exemples :
Tout cela existe depuis le milieu du XIXe siècle.
Mais auparavant ?
Il a y eu un personnage hors norme, Auguste Frédéric, 1er Duc de Sussex.
Auguste Frédéric est né en 1773. C'est le 6ème fils et 9ème enfant de Guillaume III (dynastie des Hanovre et des rois George, tous protestants), le 1er roi à être vraiment anglais, puisque né en Angleterre, au Palais de Buckingham, et non pas en Allemagne, comme tous les autres Hanovre. Il en fut de même pour son fils, le futur Sussex. Ce dernier avait une chance infime de régner, mais la mortalité infantile était alors telle qu'il était possible de l'envisager. Souffrant d'asthme, et le climat anglais ne lui convenant pas, on l'envoie sur le continent, à Hanovre (bien sûr) où il entre à l'Université de Göttingen. Il se révèle être un étudiant brillant et curieux, et étant souffreteux, on lui épargne le sport et les exercices militaires. Il fait alors ce qu'on appelle « le Grand Tour » de l'Europe, de Bruxelles à Lausanne en passant par Paris, Rome, Florence… En Italie, alors qu'il a 21 ans, il rencontre une écossaise de confession catholique qu'il épouse sans demander l'autorisation de son père et la ramène en Angleterre pour faire agréer le mariage à l'église de Hanovre... et cette fois-ci sous un faux nom ! Son père fait alors annuler ce double mariage irrégulier et coupe sa pension alimentaire. Le couple se sépare en 1801, le roi versera une allocation à sa femme et ses deux enfants et leur donnera un nouveau nom : « d'Este » (= prononcer d'Esté)
A 25 ans, Auguste Frédéric revient vivre définitivement à Londres. Il s'affiche alors comme étant un libéral, favorable notamment à l'abolition de l'esclavage, à la levée des dernières restrictions légales qui pesaient sur les catholiques et les juifs, etc. Il est également capable de provoquer : ainsi, il visite une synagogue, est le 1er commanditaire d'un orphelinat juif à Londres...
Le Roi Guillaume III, son père, finit sa vie en souffrant de troubles mentaux et c'est Guillaume IV qui lui succède à la tête du Royaume, de 1830 à sa mort en 38. Lui succèdera enfin la Reine Victoria.
Pendant ce temps, Auguste-Frédéric devient une figure importante de l'Etat : en 1814, il préside la Société Royale des Arts, en 1815, la Royal Society. Et il s'intéresse de plus en plus à l'archéologie biblique.
Il se définit, devant la Royal Society, comme profondément religieux et profondément philosophe. Il rêve lui aussi de concilier la science et la religion.
La jeune Reine Victoria adore son oncle Auguste Frédéric. Elle le considère comme son deuxième père.
Auguste s'était marié une deuxième fois, en 1831, avec une femme toujours sans titre de Noblesse (Victoria le fera finalement Duchesse d'Inverness en 39) et toujours sans autorisation paternelle.
Il sera nommé gouverneur du château de Windsor et c'est lui qui conduira la Reine Victoria à l’autel le jour de son mariage.
Il est initié en Allemagne en 1790 dans une loge germanophone puis il s'affilie, une fois revenu en Angleterre, à la Grande Loge des Modernes, dans la Loge Antiquity. Son Frère, le Prince de Galles, est alors le Grand Maître de la Grande Loge des Modernes, deux fois plus nombreuse que celle des Anciens. Puis il est reçu à la Pilgrim Lodge, Loge qui travaille en allemand, à Londres, au rite de Schroëder.
Il prend très au sérieux son engagement maçonnique notamment au sen de la Royal Alpha lodge n° 16, Loge réservée aux seuls membres de la famille royale, qui existe encore de nos jours.
Nous sommes en 1799, 10 ans après la Révolution française, et le Parlement britannique propose une loi interdisant les sociétés illégales par crainte de la contagion révolutionnaire et des complots politiques. La Franc-maçonnerie est alors menacée. Les 2 Grands Maîtres (celui de la Grande Loge des Modernes et celui de la Grande Loge des Anciens) vont trouver le Roi pour démontrer que la Franc-maçonnerie n'est pas dangereuse pour le pouvoir, bien au contraire. Le Prince de Galles devient Régent en raison de la maladie mentale de son père. Ne pouvant demeurer Grand Maître, il fait nommer en 1813 le Duc de Sussex Grand Maître de la Grande Loge des Modernes. Le Duc de Kent, son frère, devient Grand Maître de la Grande Loge des Anciens. Ce dernier proposera propose à son frère, le Duc de Sussex, lors de la fusion des 2 Grandes Loges, de devenir le 1er Grand Maître de ce qui s'appellera désormais la Grande Loge Unie d'Angleterre.
Pour créer le rituel de la Grande Loge Unie d'Angleterre, une Loge de réconciliation est formée. On sait que déjà depuis 1809, à l'initiative du Duc de Sussex, la Grande Loge des Modernes avait commencé à y travailler. L'ordre des mots sera celui des Anciens : B et J, ainsi que la cérémonie d'installation secrète, les Diacres, ou Deacons (qu'on ne trouve que chez les Modernes) sont conservés.
Le nouveau Grand Maître, le Duc de Sussex a 40 ans. Il est le fils du Roi qui a été malmené et exilé, un libéral mais chrétien, qui va régner sans partage. Il va avoir une double importance :
Tout un univers... La Grande Loge Unie d'Angleterre les distingue en deux groupes : les ordres chrétiens (comme les Knights Templar, ou le REAA qui ne commence en Angleterre qu'au grade de Rose-croix, où l'on doit faire profession de foi chrétienne), et les ordres non chrétiens. Le Duc de Sussex, après s'être fait attribuer le titre de Souverain Grand Commandeur du Suprême Conseil (REAA) et de Grand Maître des Chevaliers Templiers maçons, mit tout de côté, refusant pendant 30 ans de faire fonctionner les ordres chrétiens...
Il meurt aveugle en 1843 et, fidèle à ses convictions, sera enterré non pas dans une sépulture royale mais dans un cimetière populaire.
Son titre de Duc de Sussex a disparu en même temps que lui, en 1843. Or, le jeune prince Harry vient d'être fait 2ème duc de Sussex par la Reine, et sa femme, Meghan, 1ère Duchesse de Sussex ! Il a embrassé une carrière militaire où il a été remarqué pour son courage et il est très populaire en Angleterre.
La Grande Loge Unie d'Angleterre s'est empressée de lui envoyer ses vœux les plus sincères. Alors, une question se pose : pourrait-il être Grand Maître de la Grande Loge Unie d'Angleterre prochainement ? Le Duc de Kent, actuel Grand Maître, est très âgé, Charles ne s'intéresse pas du tout à la Franc-maçonnerie. Alors pourquoi pas ? Nombre de Frères anglais que notre Vénérable Maître connaît bien disent qu'ils sont nombreux à le souhaiter.